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31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 16:30

Cet entretien a été publié dans le numéro du mercredi 26 janvier 2011 du quotidien La Croix.

M. Zaki Laïdi est directeur de recherche au Centre d'études européenes de Sciences-Po.

 

Les Français affichent à la fois une plus grande méfiance vis-à-vis de capitalisme et un plus grand pessimisme sur l'avenir de leur pays dans la mondialisation. Comment expliquer ces craintes particulières?

La France est un pays qui, depuis sa Révolution, a toujours été mal à l'aise avec le libéralisme. Notre tradition est jacobine et colbertiste, c'est un point central de notre identité. Ici, le libéralisme n'a jamais été vraiment légitime et n'a surtout jamais été dominant. Bien sûr, le France est devenue très libérale sur le plan sociétal mais elle accepte infiniment moins le libéralisme sur le plan écononmique. Cette dichotomie explique que nous ayons du mal à nous sentir à l'aise avec le système capitaliste.

Le paradoxe, pourtant, c'est que ce refus du libéralisme économique n'empêche pas la France d'être un pays plutôt libéral. Vis-à-vis du protectionnisme, par exemple, nous constatons que le majorité de l'opinion est favorable à l'idée d'imposer des barrières sociales ou écologiques. Mais dans les faits, ce n'est pas du tout la politique que nous appliquons.

 

Le malaise des Français vis-à-vis de la mondialisation vient donc de notre croyance en un Etat fort et protecteur?

L'idée que le rôle de l'Etat est essentiel dans la régulation s'impose avec beaucoup plus de force en France que dans les autres pays [en particulier anglo-saxons, NDRL]. Historiquement, l'Etat a toujours joué un rôle très important et pas seulement sur le plan économique, mais aussi identitaire. C'est l'Etat des Capétiens qui a fait le France, et depuis nous avons toujours vécu avec la conviction que l'Etat devait être fort et volontariste dans tous les domaines. Aujourd'hui, ce besoin de protection contre l'extérieur est renforcé par le fait que notre appareil industriel est en train de s'effondrer. Il est compréhensible que l'opinion recherche comment limiter les effets d'une mondialisaiton perçue comme dangereuse.

 

Ce sont les interrogations sur la capacité d'action de l'Etat qui nourissent notre inquiétude?

Partout dans le monde, les citoyens attendent que l'Etat joue un rôle, mais c'est en France qu'on en attend le plus. Les questions qui se posent sur la place de l'Etat, l'inquiétude sur son déclin ou ses transformations rendent les citoyens perplexes. Du coup, les Français se sentent peu à l'aise avec le monde tel qu'il est. Nous sommes dans un entre-deux, où nos perceptions liées à l'histoire et à la culture contrastent avec l'adaptation progressive de la société à ce nouveau monde. Nous ne sommes pas dans une situation figée, mais dans une phase d'adaptation même si nous semblons subir ces transformations malgré nous.

 

D'autres pays connaissent les mêmes problèmes économiques, les mêmes changements, mais s'affichent néanmoins plus optimistes.

Il y a un pessimisme particulier chez les Français. J'y vois le résultat d'un échec de nos élites politiques qui n'ont pas su proposer au pays un nouveau discours et une nouvelle façon d'affronter le monde. Depuis vingt ans, le discours dominant consiste à accompagner les peurs, voire à les encourager en pensant que cela va permettre de faire accepter des changements. Ce n'est effectivement pas très enthousiasmant. Le vrai problème c'est que la mondialisation n'est pas la cause de nos problèmes mais agit plutôt comme le révélateur de nos faiblesses internes. Oui, notre industrie se désagrège avec la concurrence des pays à bas salaire. Mais l'Allemagne, avec un niveau de vie et de protection sociale comparable, résiste et s'impose comme la seconde puissance commerciale mondiale. Il y a donc des solutions possibles.

 

Finalement, l'inquiétude des Français vous semble-t-elle justifiée?

Chacun vit évidemment une réalité différente mais, globalement, nous n'avons aucune raison d'être incroyablement pessimistes. La France représente 1% de la population mondiale et pèse 6% de la richesse mondiale. Statistiquement, nous sommes donc bien un peuple privilégié. Bien sûr, les perceptions collectives ne se nourrissent pas seulement de faits objectifs, mais aussi de notre passé et de notre vision de l'avenir. C'est là que nous aurions besoin d'un discours politique mettant en valeur nos atouts plutôt que de nourrir notre pessimisme social.

 

 

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